Quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire dite "AGEC", le bilan reste mitigé. Si les avancées sont bien présentes, le changement de paradigme escompté tarde à s’imposer. Acteurs publics et privés tentent toujours de faire émerger de nouveaux modèles d’économie circulaire…
Un long chemin à parcourir
« Le sujet de l'économie circulaire n'a pas été beaucoup abordé dans nos travaux législatifs. La loi AGEC avait posé un cadre et fixé une ambition, mais nous n'avons pas vu, en tout cas ces deux dernières années, un élan particulier de données pour accélérer et amplifier l’effort, malgré certains chiffres encourageants sur ce que représente l'activité autour de l'économie circulaire en France. » témoigne Stéphane Delautrette, député. Quatre ans après son entrée en vigueur, les associations, comme Zero Waste France juge les effets de la loi « insuffisants ». « La loi AGEC n’est pas parvenue à impulser un véritable changement de paradigme en faveur d’une société plus sobre, en raison de lacunes fondamentales » souligne l’association qui dénonce un manque d’ambition sur le développement du réemploi au sens large et regrette l’exclusion de la loi des obligations de réemploi pour la livraison de repas à domicile grâce aux plateformes telles qu’Uber Eat ou Deliveroo. A noter que 200 millions de repas sont livrés annuellement, générant ainsi 600 millions d’emballages à usage unique.¹ Même son de cloche du côté de l’Institut national de l’économie circulaire qui recommande plusieurs mesures pour que cette loi puisse enfin avoir un impact. Faire du réemploi une priorité, généraliser la réparation, mettre la commande publique au service de l’économie circulaire ou encore accompagner la valorisation des biodéchets… autant de propositions concrètes pour une transition réussie. « Nous avons beaucoup focalisé sur l'aval de la filière – à savoir le recyclage et la structuration des filières – mais que les pans amont – l’éco-conception, l'économie de la fonctionnalité, et la prévention – furent trop peu mis en œuvre. Il y a encore d'énormes chantiers sur le sujet. Sur le plan législatif, il y a eu peu d’évolutions, si ce n'est quelques initiatives de parlementaires, notamment sur la lutte contre la fast fashion qui a beaucoup marqué les esprits, bien que l'ambition sous-jacente ne fut pas aussi importante que celle que j'aurais souhaitée. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir » admet Stéphane Delautrette.
Des initiatives publiques et privées
Pourtant, aux quatre coins du territoire, des initiatives publiques et privées essaiment. La Mairie de Paris développe par exemple une stratégie qui cible quelques filières jugées prioritaires pour le développement de l’économie circulaire. « Nous avons mené une action emblématique en ouvrant une manufacture textile circulaire dans le 13e arrondissement : la manufacture Berlier. Nous avons installé sur un grand plateau de production des acteurs de l’insertion par l’activité économique, qui réalisent du textile upcyclé. Je suis aujourd’hui fier de pouvoir affirmer que, à Paris, il existe 80 lieux de réemploi solidaire de proximité, tels que des ressourceries ou des recycleries. Je suis également très heureux de l’ouverture de cette manufacture dans le 13e arrondissement » témoigne Florentin Letissier, Adjoint à la maire de Paris en charge de l’économie sociale et solidaire, de l’économie circulaire et de la contribution à la stratégie zéro déchet, et de poursuivre : « À ce sujet, nous allons prochainement ouvrir une nouvelle manufacture dans la filière D3E (électronique et électroménager), avec un acteur connu de l’économie sociale et solidaire qui travaillera notamment sur la réparation ». Du côté des entreprises privées, la question du réemploi émerge et certains acteurs, comme Citeo, se positionnent sur ce marché. « À partir du mois de mai 2025, les régions Hauts-de-France, Pays de la Loire, Bretagne et Normandie pourront bénéficier d'un tissu de magasins équipés des machines de récupération, ainsi que d'un parcours de consommateur. C'est-à-dire qu'il sera indiqué sur les produits et dans les rayons qu'il s'agit d'emballages que l’on peut rapporter. Il y aura des points de collecte dans les points de vente. Ces produits seront consignés : il y aura un montant à avancer, mais qui sera rendu quand l'emballage, non cassé, sera renvoyé. Il y a ensuite tout un système de coordination avec un acteur chargé de la récupération, de la collecte, des transports et des lavages » souligne Ana Fernandez, Directrice des dispositifs de réemploi de Citeo. Qui dit économie circulaire dit valorisation des déchets et recyclage. Là aussi, une filière s’engage : « Nous recyclons des solvants, beaucoup utilisés dans le secteur de la chimie et de la pharmacie. Recyclés, ils permettent cinq fois moins d’émissions que lorsqu’ils sont vierges. Quand nous consommons des solvants régénérés, que nous avons purifiés, nous pouvons décarboner, réduire la chaîne d'approvisionnement (au lieu de se fournir à l'extérieur de l'Europe, cela sera fait en France et en Europe). Cela favorise également l'économie circulaire. Ce sont des activités en plein développement pour notre entreprise » explique Pierre-Yves Burlot, Directeur développement durable de Séché Environnement. Autre sujet clé, le biogaz. « Le développement du biogaz, qui, selon moi, est une énergie emblématique de l'économie circulaire et des territoires, représente aussi des revenus complémentaires pour nos agriculteurs. L'idée n'est pas de transformer les agriculteurs en énergéticiens, mais d'être capable de leur assurer des revenus complémentaires. Aussi, cela donne du sens, puisque nous fabriquons des boucles locales d'énergie. Nous avons pu voir il y a peu à Montpellier, les habitants d'un logement social qui recyclent leurs déchets. Cela alimente un méthaniseur et produit du biogaz qui alimente ensuite les logements en boucle locale. Cela donne du sens à la transition écologique. Il est très important, pour créer une désirabilité de la transition, de montrer que des emplois sont créés localement, qu'il y a du sens à développer une économie territoriale » témoigne Jean Charles Colas-Roy, Président de Coénove.
Les territoires en première ligne
« Ce sont en effet les territoires qui peuvent adapter les actions à mener en tenant compte de leur contexte spécifique. Dès lors, il faut s’interroger sur la manière de les accompagner. » souligne le député Delautrette. Les collectivités territoriales sont en première ligne de la circularisation de l’économie. Le développement de cette démarche favorise la résilience du territoire, limitant sa dépendance aux autres ressources. Elle est « génératrice d'innovation territoriale, tant par le remodelage de l'organisation et de la gouvernance locales, que par la promotion de nouvelles filières et d'activités non délocalisables. De nombreuses zones d'activités françaises souffrent aujourd'hui d'un manque d'animation territoriale. Le décloisonnement des industries locales et la mise en place de symbioses industrielles renforcent l'attractivité du territoire et attirent de nouveaux acteurs industriels en recherche de territoires innovants et de filières d'approvisionnements à faibles coûts »² note l’Institut national de l’Economie circulaire. L’ADEME de son côté met à disposition des territoires intéressés par l’économie circulaire un référentiel pour qu’ils puissent réaliser un état des lieux du développement de leur politique territoriale sur le sujet. Ce diagnostic permet d’identifier des actions pour s’engager davantage. Une aubaine pour les collectivités qui auraient du mal à savoir quelles mesures prendre en priorité.
Le développement de filières d’économie circulaire doit désormais se propager sur l’ensemble du territoire. Et les dernières actions en date témoignent de la dynamique à l’oeuvre. En partenariat avec France Cluster, l'Ademe Auvergne- Rhône-Alpes, la Ruche industrielle, OPEO et Kickmaker, la métropole de Lyon lance un programme baptisé « Pivot circulaire » pour aider les entreprises. Une dizaine d'entreprises devraient rejoindre ce dispositif qui a valeur de test à l'échelle nationale. Decathlon Pulse s'associe à Rebike pour accélérer l'économie circulaire des vélos électriques. La biotech Carbios s’entoure de grandes marques pour développer le premier t-shirt polyester recyclé, une première mondiale suivie de près par l'industrie textile. Des idées prometteuses parmi d’autres, qui doivent inspirer et permettre d’intensifier la démarche française en faveur de l’économie circulaire.
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