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La diversité dans les Armées : créer des vocations partout

Si le service militaire a longtemps été qualifié de « creuset républicain » - voire de « creuset de diversité » - de par la confrontation des origines sociales qu’il permettait, pour autant un plafond de verre semble toujours avoir sous-tendu l’accès aux plus hautes fonctions, comme le note l’ouvrage Officiers : oser la diversité. Pour une recomposition sociale des armées françaises. Publié en 2013 par Frédéric Jonnet, docteur en sciences politiques, et préfacé par Hervé Morin alors ministre de la Défense (2007 - 2010), cet essai pointait la prégnance de l’endo-recrutement1 dans les armées. Dix ans plus tard, qu’en est-il ? Les armées se sont-elles donné les moyens de leur ambition d’élargir leur vivier de recrutement ? 

 

Par Sarah Pineau



Une tradition historique d’intégration 


La professionnalisation des armées et son corollaire, la suppression du service militaire obligatoire, ont, en leur temps, suscité la peur de la perte, d’une part du lien armée-nation, d’autre part de la dimension citoyenne de l’armée : le devoir du service d’armes, le patriotisme, mais aussi voire surtout dans les années 1990, la mixité sociale. Cette peur s’est finalement avérée infondée ; la tradition d’intégration des armées a perduré, comme le notait en 2020 le vice-amiral d’escadre Philippe Hello, directeur des ressources humaines du ministère des Armées : « je peux affirmer que de tous temps, les armées ont été un creuset de diversité. Je crois que c’est encore plus vrai aujourd’hui. Le brassage des populations est beaucoup plus important que dans les unités de mamelouks de Napoléon ou les unités coloniales de la Première Guerre mondiale. Nous avons des régiments et des unités complètement divers à tous les niveaux. […] Nous formons des combattants sans faire de différence selon le sexe, l’origine, ou le lieu de naissance. Le recruté qui a vocation à devenir fantassin, marin ou aviateur, se fondra dans un nouvel univers dans lequel nous l’aiderons à progresser. Nous le sélectionnerons sur son engagement, son savoir-être, ou son potentiel ».2De fait, ces dernières années cette tradition d’intégration s’est renforcée par des dispositifs dédiés à l’encouragement de la diversité. 


Au-delà de la tradition, des actions… 


Barbara Jankowski, sociologue à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) insiste sur la spécificité des armées en matière d’insertion, tant professionnelle que sociale : « L’armée demeure l’un des rares employeurs à proposer une possibilité d’insertion aux jeunes sans qualification, qu’elle recrute chaque année par milliers. Elle leur transmet ses valeurs et les aide à s’insérer socialement et professionnellement. Tout comme elle le fait vis-à-vis des jeunes qu’elle encadre via divers dispositifs dont elle a la charge ». Parmi ceux-ci, le Service militaire adapté (SMA), qui apporte une formation professionnelle et resocialise des jeunes éloignés de l’emploi outre-mer, les Etablissements pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), encadrés par d’anciens militaires, qui conjuguent parcours d’insertion professionnelle, apprentissage des règles de vie et remise à niveau scolaire ou encore le Service militaire volontaire (SMV) destiné aux jeunes en décrochage scolaire.  

Par ailleurs, concernant le libre exercice des cultes des militaires, le modèle spécifique d'aumôneries des armées, unique en son genre, assure une gestion du fait religieux dans les forces armées dans le respect des principes de laïcité, de neutralité et d'égalité de traitement. 

Aussi, parce qu’elle est tout sauf un affichage abstrait de grands principes sans action, la démarche volontariste des armées est reconnue au plus haut niveau : en décembre 2022 le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guérini, a remis au directeur de ressources humaines du ministère des Armées, Thibaut de Vanssay, le label « Diversité » qui distingue les bonnes pratiques de recrutement et d'évolution professionnelle valorisant la diversité dans la sphère du travail. Ce label valorise également les entités publiques particulièrement impliquées dans la mise en œuvre de la Charte pour la promotion de l'égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique, promue par le ministère en charge de la Fonction publique et par le Défenseur des droits. 


… qui demandent une acculturation 


Pour autant, des progrès restent à faire. Si pour les militaires du rang et les sous-officiers la diversité s’accroît et est fortement encouragée, le plafond de verre persiste pour les officiers : « Ceux qui sortent des grandes écoles militaires viennent très majoritairement de classes sociales favorisées, avec une tradition familiale militaire et parfois catholique. La diversification des élites militaires reste un enjeu. » remarque Elyamine Settoul, maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers et docteur en science politique de Sciences Po. 

Les armées doivent se confronter à cette réalité et y remédier : au-delà des questions d’égalité républicaine et de méritocratie, la diversité devient de plus en plus un atout opérationnel. En effet, l’hybridation du monde et de la guerre tout comme l’apparition de nouveaux champs d’action fait de la « diversité culturelle un facteur clé de succès pour l’action militaire, qui tire une force supplémentaire d’officiers ayant des psychologies et styles différents, ayant des origines et références intellectuelles diverses ».3 Idem pour la question de la féminisation dans le commandement, la conception, la direction et la conduite des opérations. 

En 1891, le maréchal Lyautey s’interrogeait sur le rôle social de l’officier. Désormais il faut s’interroger sur le rôle social des armées et leur capacité à générer des modèles comme Colin Powell, issu d’une famille d’immigrants jamaïcains, nommé chef d’état-major des armées des Etats-Unis de 1989 à 1993, et Secrétaire d’État de 2001 à 2005. Alors, le pari de la diversité sera entièrement relevé. 

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