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Guérir et se reconstruire par le sport

Il permet aux militaires blessés de se reconstruire, aux femmes victimes de violences de se relever, égaye le quotidien des enfants hospitalisés. Il facilite la rééducation et la rémission, réduit les risques de récidive, aide à affronter les troubles psychologiques. Il redonne confiance en soi, appelle à se dépasser et à défier son handicap, permet de retrouver un rôle et une place dans la société… Le sport guérit les corps et les âmes, panse les blessures visibles et invisibles. A condition toutefois de donner aux athlètes de tous les jours qui affrontent la maladie et la blessure les moyens de leur reconstruction. 


Par Amélie Rives 



Une thérapie (pas) comme les autres 


Chaque année depuis 20 ans, l’association Premiers de Cordée organise la désormais reconnue et très attendue « Semaine du sport à l’hôpital ». Un moment d’évasion pour les 1000 enfants hospitalisés initiés à la pratique sportive sur l’édition 2023. Une façon de s’amuser, d’oublier la maladie, mais aussi de se défouler, de bouger. L’enjeu est de taille : « (…) en seulement trois semaines d'alitement, un enfant perd 35 % de ses capacités d'effort cardio-vasculaire »¹ explique le Dr Matthieu Pellan, pédiatre, médecin du sport et président du conseil scientifique de Premiers de Cordée. L’association a aussi lancé Hopi'Sport, une station d’activités mobile équipée de matériels sportifs qui se déplace de chambre en chambre pour ceux qui ne peuvent pas la quitter. Des exercices de psycho-motricité, d'équilibre, de gainage ou encore de travail cardio-respiratoire sous forme de jeux font rimer effort et divertissement. Faire de l’activité physique ludique un levier de guérison et de convalescence, c’est aussi la mission de l’association Sourire à la Vie. Depuis 2006, elle propose aux jeunes hospitalisés des jeux créatifs pour « permettre à l’enfant de créer, de continuer d’être en éveil, d’attiser sa curiosité et sa capacité de création mais également de reprendre confiance en lui et de mobiliser son corps afin que le retour à la vie « normale » se fasse le plus rapidement et le mieux possible. »²

 

Si l’activité physique adaptée est officiellement prescriptible sur ordonnance depuis 2016, ses bienfaits sont reconnus depuis bien plus longtemps. Convaincus qu’elle joue un rôle essentiel pour augmenter les chances de rémission du cancer en complément des traitements traditionnels, Thierry Bouillet et Jean-Marc Descotes ont créé CAMI Sport & Cancer dès 2020. Depuis, l’association et ses praticiens en thérapie sportive interviennent dans les hôpitaux ou à l’extérieur auprès des patients en cours ou en fin de traitement, de leurs proches et leurs soignants. Les bénéfices sont nombreux : prévention et correction du déconditionnement physique, réduction de la fatigue et amélioration de la qualité de vie, meilleure tolérance aux traitements, allongement de l’espérance de vie, réduction du risque de récidive.³ « La CAMI a été comme une bouffée d’oxygène pendant ma maladie. [Le programme] m’a permis de me sentir mieux dans mon corps, de reprendre confiance, avec des exercices sécurisés et adaptés à mon état physique. Je pense sincèrement que le programme m’a aidé à récupérer plus rapidement à la suite de mon traitement. » témoigne un participant.

 

Panser les blessures invisibles 

 

Les bienfaits du sport permettent aussi de panser les blessures psychologiques et les conséquences sociales, invisibles et insidieuse de la maladie ou des accidents de la vie. Il permet de reprendre possession de son corps, de sortir de son isolement, de retrouver confiance en soi. L’association Hope Team East prépare des malades du cancer ou de maladies chroniques à des défis sportifs collectifs par lesquels « chacun réalise l’impossible »⁵ et recréé du lien social. D’autres comme Fight for dignity accompagnent des femmes victimes de violences avec une pratique interdisciplinaire basée sur les valeurs et la pratique du karaté. Une approche développée avec des structures médicalisées comme les Maisons des Femmes, qui vise à favoriser la reconnexion tête-cœur-corps, le respect de soi et des autres et l’inclusion. « Nos patientes ont subi des violences, ont été dénigrées, sont encore trop souvent sous emprise. Grâce au sport, elles se resocialisent, réapprennent à sentir bouger leur corps, ont moins l’impression d’être spectatrices de leur vie. »⁶ explique Delphine Giraud, coordinatrice du parcours de soins à la Maison des femmes de la Pitié Salpêtrière. Une vision partagée par UpSport ! qui a lancé le programme F.O.R.C.E.S (Les Femmes Œuvrent pour la Réappropriation de leur Corps et leur Emancipation par le Sport). Un triple suivi psychologique, professionnel dont « l’objectif est de redonner aux femmes les ressources nécessaires à leur émancipation en changeant le regard qu’elles portent sur elles. Avec le sport, elles se réapproprient leur corps, réussissent à dépasser leurs peurs, comme celle de refaire du vélo ou de terminer une course. Ensemble, elles se motivent, se fixent des objectifs et en ressortent plus fortes. » témoigne Karine Roussier, directrice l’association. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) réunit tous les ans les près de 300 jeunes suivis par le service autour des 6 disciplines du Challenge Michelet. Rugby, football, basketball, athlétisme, cross et natation pour les fédérer autour d'un projet collectif fondé sur la cohésion, la tolérance, le respect des règles, l'estime de soi. Les valeurs fondamentales du sport qui sont aussi des valeurs citoyennes. 


L’allié des militaires blessés 


« ADN du soldat français, le sport permet au blessé de reprendre confiance et de réintégrer son schéma corporel. La reconstruction par le sport fait partie intégrante du parcours de réadaptation. »⁸ rappelle le ministère des Armées. Le dispositif de soins proposé aux militaires blessés comprend ainsi un « Pack sportif » reposant sur des pratiques sportives adaptées à chaque situation. La Gendarmerie propose elle aussi à ses blessés des stages sportifs par lesquels ils peuvent se ressourcer et se dépasser en s’appuyant sur le collectif, apprendre à (se) refaire confiance et garder un lien avec l’institution. Parce que les militaires blessés sont d’abord des (com)battants, cette démarche passe aussi par des rencontres et compétitions dans lesquelles ils s’affrontent, se retrouvent, échangent et partagent. En 2023, plus de 500 soldats et vétérans blessés ou handicapés de 21 nations ont participé aux Invictus Games, compétition internationale multisports qui « démontre que le handicap, qu’il soit physique ou psychique, peut être dépassé grâce aux valeurs militaires portées par nos athlètes : la cohésion, l’engagement, le respect, le courage et la résilience ».  

Nombreux sont ceux aussi qui se lancent dans des défis faisant du sport le moyen et la condition de leur guérison et de leur reconstruction. Des (é)preuves de détermination et de résilience, où chaque finish line est une victoire sur soi-même, chaque médaille une revanche sur la blessure et le handicap, et chaque podium un message d’inclusion dans une société qui ferme encore trop souvent les yeux. C’est pour « montrer que même handicapés, nous sommes aussi handi-capables » que Sandra et Emmanuel Rivière et Raphaël Guiot créent l’écurie Frères d’armes en 2022. Objectif : engager une équipe de blessés de guerre sur le Dakar Classique. Le projet tient à la fois du challenge sportif et d’une aventure humaine semblable aux engagements en opérations extérieures (OPEX) : 8000 km, 14 étapes, 12h de conduite quotidienne, dans un environnement désertique. Un défi qui pousse à mobiliser des ressources individuelles pour un objectif commun. « Je me suis engagé dans cette aventure pour me dépasser et pour montrer l’importance de ne pas abandonner. Je porte un message de résilience par la détermination et j’insiste sur l’importance de la cohésion face à la difficulté. »¹⁰ témoigne le Sergent-chef Mickael, engagé dans l’édition 2023.  


Défier le handicap 


C’est aussi pour (se) prouver que le handicap n’était pas un obstacle à sa vocation que Vincent Dorival, Sapeur-Pompier blessé en 2001 et assimilé tétraplégique, entreprend en 2019 avec 6 autres militaires blessés une expédition à laquelle peu de valides ont osé se confronter : la traversée de la Death Valley… en fauteuil. 309 km sur 14 jours, l’équivalent d’un semi-marathon quotidien sous des températures caniculaires. Avec son association UltraOps, il récidive en 2023 dans le désert de Las Bardenas, et en Grèce à l’été 2024. Des défis conçus comme des missions OPEX, de la préparation opérationnelle au déploiement et à la remise en condition. « Lors des stages de préparation, nous tentons de retrouver ce que l’on a pu connaître au sein des armées : dépassement de soi, fatigue… (…) nous nous battons contre nous-même, contre nos handicaps. Ces stages nous permettent de répondre à l’une des questions les plus importantes : quel sens donnons-nous à notre propre existence ? »¹¹ témoigne Vincent Dorival. Donner du sens, c’est aussi ce qu’ils font en récoltant des fonds au profit du Service de Santé des Armées. « Nous pouvons nous sentir blessés de ne plus servir l’institution. A travers ces défis en soutien du centre de transfusion sanguine des armées, nous proposons une reconstruction par l’action et les vertus retrouvées. Car chaque militaire, même blessé, reste un homme d’action, un combattant. » ajoute Vincent Dorival. Blessés en Iraq en 2016 et amputés, Guillaume Ducroq et Cyrille Chabhoune ont eux aussi trouvé dans le sport une autre façon de servir. Pour ces deux anciens commandos parachutistes des forces spéciales de l’armée de l’Air « le sport et le milieu militaire partagent les mêmes valeurs de cohésion, d’esprit de groupe, de dépassement de soi. » Au sortir de mois d’hospitalisation et de rééducation au cours desquels il leur a fallu ré-apprendre à vivre, ils se tournent vers le sport pour « évacuer, s’évader, se détacher temporairement des difficultés de la vie ».¹² Après une participation aux Invictus Games de 2018, ils rejoignent l’équipe de France de volley-assis qui se constituait en vue des JOP 2024. « Etre athlète de haut niveau et participer aux JOP, c’est aussi une façon de continuer à représenter la France et de défendre son pays ses valeurs, son drapeau et ses couleurs, un peu partout dans le monde ». 

Reste que se reconstruire par le sport peut représenter un coût parfois inaccessible. Les dispositifs adaptés, comme les fauteuils et les prothèses, restent très onéreux, ajoutant un critère d’exclusion inacceptable. A l’heure où le sport est érigé en « grande cause nationale » en France, permettre au plus grand nombre d’accéder à une pratique sportive réparatrice et voire salvatrice devrait pourtant être une priorité. 

 

 

 

 

³Benefices_de_l_activite_physique_pendant_et_apres_cancer__mel_20170328.pdf 

¹³Ibid 

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