Neiges éternelles, glaciers, alpages, forêts, lacs d’altitude… Dans la Vallée de Chamonix se déploie une diversité d’habitats sans pareil. Véritable écrin naturel, la vallée est idéale pour étudier le vivant. C’est le rôle du Centre de Recherches sur les Écosystèmes d’Altitude (CREA) Mont Blanc, une ONG scientifique basée à Chamonix depuis 25 ans qui s’est donnée pour mission d’explorer et comprendre l’impact du changement climatique sur la biodiversité, et d’informer décideurs et citoyens pour encourager des actions plus responsables.
Un territoire en mutation
La Vallée de Chamonix Mont Blanc, c’est d’abord un large éventail de microclimats façonnés par l’altitude, la topographie et l’exposition du territoire : 15°C d’écart entre les températures moyennes de basse vallée et celles de haute montagne en été. 4 300 mètres de dénivelé entre Le Fayet ou Martigny et le sommet du Mont-Blanc, soit une différence climatique équivalente à celle observée sur 4300 kilomètres en latitude, par exemple entre la Méditerranée et le Groenland, mais sur 20 kilomètres seulement. Une diversité climatique qui se traduit par une grande hétérogénéité des milieux naturels et de leur biodiversité, avec des écosystèmes dont le fonctionnement occupe encore les scientifiques. Et ce d’autant que ce territoire, aussi spectaculaire que fragile, est en première ligne du réchauffement climatique : la température augmenterait deux fois plus vite dans les Alpes que la moyenne de l’hémisphère nord. Conséquences : les cycles saisonniers sont modifiés, avec des impacts directs et visibles sur la faune et la flore, les espèces se déplacent sur le relief pour y retrouver des conditions climatiques adaptées… Aujourd’hui, l’enjeu pour le territoire est de taille : il s’agit à la fois de concilier protection des milieux, activités humaines et sensibilisation du public.
Comprendre le vivant
Mettre la science du vivant au cœur de la prise de décision et à portée de la société, faire émerger des connaissances et méthodes permettant d’accompagner les territoires dans leur transition, fédérer des expertises pour expérimenter de nouvelles approches… c’est la mission que s’est donné le CREA Mont-Blanc. Spécialistes de l’écologie alpine, ses experts mènent des études de long terme en phénologie, distribution et dynamique des populations d’altitude, pour faire avancer la compréhension des milieux d’altitude et de leurs évolutions face au changement climatique. La biodiversité de montagne est aussi souvent sous-estimée dans ce qu’elle apporte à nos sociétés et négligée dans les stratégies actuelles de transition. Pourtant, il est essentiel que les territoires de montagne prennent mieux en compte les enjeux liés à la biodiversité dans leurs stratégies territoriales locales. C’est aussi trop souvent d’un manque de contact avec la nature et de connaissances en écologie que naissent, involontairement, des comportements qui menacent le vivant. A l’inverse « l’émerveillement joue un rôle fondamental dans l’envie de comprendre puis de protéger. »¹ expose Irene Alvarez, ancienne co-directrice de l’association. C’est pour susciter cette curiosité et inviter à redéfinir ses liens à la nature que CREA Mont Blanc a mis la science participative au cœur de sa démarche.
Un pont entre la science et la société
« L’ADN du CREA Mont-Blanc, c’est d’envisager la science du producteur au consommateur. […] Nous faisons appel aux citoyens dans nos recherches, notamment lors des phases de collecte de données, car nous sommes persuadés que la science peut aider à redéfinir et retrouver notre lien à la nature. La science participative réveille cette part d’émerveillement face à la nature. »² explique Irene Alvarez. Car « faire connaitre ne suffit pas à changer les choses. Nous misons sur une participation active à la science et sur l’émerveillement pour permettre à chacun de s’approprier le cheminement scientifique et de regarder la Nature autrement. » détaille l’association.³ Le public est directement associé à la collecte, au traitement et à la diffusion scientifique : bénévoles observateurs, volontaires et étudiants en mission scientifique ou participants à des hackathons contribuent directement à faire avancer ces travaux. En 2017 et 2019 par exemple les « Mont Blanc Lab », ont réuni pendant trois jours en montagne plusieurs dizaines de professionnels et amateurs volontaires, pour imaginer et produire en équipe des dispositifs innovants répondant aux enjeux du CREA Mont-Blanc. Dans un autre format, Wild Mont-Blanc invite des volontaires à participer à l’identification des espèces présentes sur les centaines de milliers d'images prises par les pièges photographiques dans le massif du Mont-Blanc. Depuis son lancement en 2020, plus de 5 000 observateurs ont participé, pour quelques 980 000 photos taguées d'une vingtaine d'espèces animales. Pour favoriser le rapprochement entre scientifiques et citoyens, les Sciences Sandwich, organisés une fois par mois sur l’heure du déjeuner, permettent eux au public de venir à la rencontre des chercheurs qui partagent leur passion et leurs travaux. Quant au projet TourScience Plus, lancé en 2022, il réfléchit aux façons de concilier tourisme de loisir et tourisme scientifique dans cette région fortement touristique, pour répondre aux enjeux de durabilité et d’adaptabilité en impliquant les acteurs concernés.
Le Mont Blanc, sentinelle du changement
Parce que le Mont-Blanc a une portée scientifique et symbolique, mais aussi une notoriété qui dépassent son périmètre géographique, le CREA ambitionne d’en faire un site de référence de mesure de l’évolution de la planète. « La science doit être un moteur et le CREA Mont-Blanc un acteur de la transformation de nos sociétés. » souligne l’association.⁴ Une série de protocoles scientifiques y sont ainsi déployés pour faire avancer la compréhension du changement climatique et faire du Mont Blanc une « sentinelle du changement ». Avec le concours de l’Union européenne, le projet Climate Change Impact on Mountain biodiversity (2018-2020) visait par exemple à mettre en place des dispositifs de suivi de long-terme d’espèces et milieux représentatifs des changements en cours, pour mieux appréhender l’évolution du massif. Le projet Espèce artico-alpines (2020-2022) a pour sa part permis d’étudier la conservation du lièvre variable et du lagopède alpin dans un contexte de changement climatique, quand le projet Herbiland, lancé en 2023 vise lui à comprendre les interactions entre la faune sauvage, l’évolution des milieux naturels, le pastoralisme et les activités récréatives. Cette année était lancé Sopheno, avec pour objectif de comprendre les conséquences du changement climatique sur la saisonnalité des arbres, plantes et insectes, etc. L’association s’est désormais lancée dans la création d’un nouveau tiers-lieu scientifique à Chamonix dont les travaux ont commencé en début d’année. « Nous avons pour ambition d’en faire un lieu emblématique, ouvert au public et disposant d’un jardin pédagogique, véritable tremplin vers la science participative en montagne. »⁵ annonce Irene Alvarez.
²Ibid
⁴Ibid
Comments