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Changement climatique : la défense en première ligne

 

« Affronter les conséquences du changement climatique s’annonce comme le défi des années à venir »¹ affirme Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Présente sur 4 des 5 continents et dans tous les océans de la planète, les Armées françaises sont particulièrement exposées au changement climatique. Conséquences : leurs conditions d’action sont modifiées, leurs missions évoluent et la BITD a de nouvelles contraintes à prendre en compte.  

 

Par Diane Cassain 



Un amplificateur de vulnérabilités 

 

2023 : le monde a connu son année la plus chaude. En raison du réchauffement climatique, dont les effets sont de plus en plus visibles, les opérations des armées se voient évoluer au fur et à mesure du temps. Les risques infectieux, la confrontation à des températures extrêmes — très élevées ou grands froids —, les aléas climatiques ou encore la pollution environnementale sont autant de nouveaux risques auxquels les soldats doivent faire face. L’augmentation des températures a des répercussions sur la santé des soldats allant de l’épuisement au coup de chaleur mortel. « Lors de l'exécution de tâches militaires spécifiques, telles que la course de 2 miles ou la marche à pied de 12 miles, souvent en portant des sacs lourds, le risque pour un individu d'atteindre un niveau dangereux de température centrale du corps, ou hyperthermie, augmente considérablement à des températures ambiantes élevées, en particulier si les vêtements ou l'humidité élevée empêchent l'évaporation de la sueur »² témoigne le Dr Nisha Charkoudian, chef de la Division médecine thermale et de montagne de l'Institut de recherche de l'armée américaine sur la médecine environnementale. Les effets du changement climatique mettent également en péril les emprises militaires. En 2018, aux Etats-Unis, les ouragans Michael et Florence ont violemment frappé le littoral, endommageant considérablement la base aérienne de Tyndall : 484 bâtiments ont été touchés, ainsi que plusieurs avions de combat F-22 et près de 800 000 m3 de débris ont été retirés. La reconstruction de la base aurait coûté près de 5 milliards de dollars. Les équipements et matériels peuvent également être largement affectés. En zone chaude, le matériel, notamment les batteries intégrées à des équipements portables ou utilisées comme source d'énergie autonome sont éprouvées. C’est pourquoi le remplacement par des batteries Lithium-Ion est actuellement à l’étude pour faire face à l’usure prématurée. Du côté de la Marine, l'augmentation de la salinité et de la température des mers modifie l’acoustique sous-marine, ayant des conséquences dans le repérage de sous-marins ennemis… Dans le milieu aérien, la hausse des températures, amplifiant l’évaporation de l'eau, augmente le nombre de nuages et, par ricochet, le risque de givrage en altitude. Or, les systèmes actuels de protection contre le givre ne peuvent pas être installés sur des drones ou hélicoptères légers. Les missions même des Armées s’en trouvent modifiées. « Nous nous dirigeons vers une adaptation du rôle des armées avec un renforcement autour des missions de gestion de crise et d’assistance et de secours aux populations en cas de catastrophes naturelles. La demande va augmenter et nécessite que nous soyons prêts à relever ces nouveaux défis. Rappelons que l’essence même de la mission de l’armée est de rester opérationnelle et en capacité d’intervenir lorsque tous les autres services s’effondrent. Cette nouvelle donne nous oblige donc à avoir un degré de compréhension des impacts du changement climatique sur notre action pour rester efficace en tout temps, lieux et circonstances » soutient Bastien Alex, conseiller climat du Major Général des Armées.   

 

Prise de conscience et adaptation en cours  

 

Alors que l’étau se resserre autour des missions, des soldats et des matériels, le ministère des Armées a décidé de prendre le problème à bras le corps. « La reconnaissance par le ministère des Armées des effets du changement climatique sur leurs activités est relativement récente. » souligne Sofia Kabbej, chercheuse, membre du Comité scientifique de l’Observatoire Défense et Climat. Elle s’illustre dans la publication d’une Stratégie Climat en avril 2022 reposant sur 6 objectifs : identifier les risques pesant sur la France et sa zone stratégique, comprendre les corrélations entre conflits et changement climatique, prévoir les évolutions géophysiques des théâtres d’opérations, analyser les impacts sur le spectre des missions des armées, adapter les capacités et les doctrines et anticiper les contraintes et exigences normatives. Le ministère des Armées travaille déjà, en coopération avec l’Observatoire défense et climat, sur la question des emprises militaires. « De nombreuses emprises militaires sont situées sur les littoraux, particulièrement concernés par l’érosion côtière et l’élévation des mers. En 2021, la question de la surélévation des terres ou leur déplacement vers l’intérieur des terres font partie des solutions d’adaptation possibles pour assurer la résilience des emprises. Le ministère a commandé auprès de l’observatoire défense et climat l’élaboration d’une méthodologie, générique et réplucable, d’évaluation de la vulnérabilité des emprises militaires aux impacts des changements climatiques. Elle propose une analyse opérationnelle de la vulnérabilité des emprises, qui se concentre sur les impacts des changements climatiques sur les fonctions et missions essentielles de ces dernières, à différentes échelles temporelles. Le processus est en cours » explique Sofia Kabbej. « Les travaux d’adaptation des emprises militaires au changement climatique sont actuellement en cours. Pour nous, il s’agit d’un axe de travail prioritaire. Cela nécessite de l’anticipation, il faut que l’on puisse savoir dès aujourd’hui si on doit faire des aménagements sur tel ou tel site, des travaux ou encore si l’on doit en relocaliser certains » abonde Bastien Alex.  

 

Les industriels se mettent au pas 

 

Les entreprises de défense doivent elles aussi redoubler d’efforts pour proposer aux armées des technologies en adéquation avec les nouveaux enjeux. Dans le désert, où les températures sont extrêmement chaudes la journée et froides la nuit, la question des uniformes des militaires a pendant longtemps été un enjeu de taille, auquel les industriels ont su répondre. UF PRO utilise des tissus particuliers, connus pour leur capacité d’aération et d'évacuation de l'humidité, permettant notamment d’évacuer la sueur du corps du combattant et ce, même dans les environnements les plus chauds. Au niveau maritime, l’accumulation de micro-organismes en surface des coques des différents bâtiments ralentit de plusieurs nœuds la vitesse des navires et pose d’importants enjeux en termes de supériorité opérationnelle. La Norvège, à la pointe de la technologie dans le domaine, a déjà trouvé la solution : un robot développé par la société ECOSubsea. Parmi les 1000 navires déjà traités, le porte-avions Charles de Gaulle. Aux bénéfices opérationnels et économiques s’ajoutent un impact positif sur l’environnement ! « Notre rôle est d’attirer l’attention des industriels sur la nécessité d’avoir des matériels résilients, capables d’affronter les conditions climatiques de demain. Pour cela, la BITD doit ainsi intégrer l’adaptation aux effets du changement climatique by design, dès la conception, car les équipements que nous achetons aujourd’hui seront utilisés pendant plusieurs décennies. Les équipements plus anciens seront pour certains amenés à fonctionner en mode dégradé. Il faudra trouver un équilibre pour conserver l’efficacité de notre outil militaire » souligne Bastien Alex.  

 

Rayonner à l’international et prendre exemple  

 

La France n’a pas à rougir en matière d’adaptation des forces armées au changement climatique, son approche fait référence. « Au niveau européen, les actions de la France sont regardées de près par nos alliés. Nous avons notamment développé une fresque climat défense qui est utilisée pour sensibiliser en interne, les armées, directions et services à cette thématique. Nous l’avons présentée à des pays européens qui sont très réceptifs et intéressés car ils ont aujourd’hui besoin d’outils pour acculturer leurs Etats-majors à ces enjeux » argumente le Conseiller climat du Major Général des Armées. Aux quatre coins du globe, les initiatives essaiment. En Jordanie, où les températures avoisinant les 40°C-45°C sont de plus en plus fréquentes, les capacités de décollage des avions de chasse sont mises à mal par la chaleur extrême. Les armées ont alors adapté une de leurs bases aériennes sur laquelle ils ont construit une seconde piste d'atterrissage, dans un sens différent de la première afin de jouer avec le vent. La capacité de décollage des avions est depuis meilleure. La Belgique vient de publier sa stratégie d’adaptation dans laquelle il est prévu d’adapter le matériel à des conditions difficiles, notamment les nouvelles frégates qui seront équipées pour les conditions arctiques. Aux Etats-Unis, les bases aériennes d’Eglin et de MacDill ont opté pour la création d’un récif d'huîtres façonnant un littoral vivant et renforçant la protection naturelles des emprises militaires face à l’érosion côtière. Le ministère français des Armées ne s’en cache pas, il s’inspire beaucoup de ce que fait l’armée américaine qui a déjà décliné une stratégie d’adaptation par corps d’armées. Ce que nous n’avons pas encore en France. « Nous avons régulièrement des échanges avec les pays investis sur ces sujets, principalement les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Nous partageons des bonnes pratiques et des retours d’expérience » dévoile Bastien Alex et de conclure : « In fine, nous sommes tous confrontés plus ou moins aux mêmes problématiques, c’est pourquoi la coopération a vocation à se renforcer au fil des années dans ce domaine là également. » 



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