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Camille Boutron : visibiliser les femmes dans les organisations armées

Alors qu’en France, Camille Boutron rédige son mémoire de maîtrise d’histoire sur les femmes dans les Jeux Olympiques jusqu’en 1948, à Jérusalem, une femme palestinienne se fait exploser tuant 2 personnes et en blessant des dizaines d’autres. Nous sommes en 2002 et Camille s’interroge alors sur la place des femmes dans les organisations armées. Quel est leur rôle ? Pourquoi s’engagent-t-elles ? Quels sont leurs combats ? Comment sont-elle réintégrées à la vie civile post-conflit ?


Par Camille Léveillé



Un sujet d’étude peu commun


« Etudier les femmes dans des espaces où elles étaient inattendues et invisibles, c’est ce qui m’intéressait. » explique Camille Boutron, sociologue et autrice de plusieurs ouvrages dont Femmes en armes. Itinéraires de combattantes au Pérou et Combattantes - Quand les femmes font la guerre, lorsqu’on lui demande pourquoi s’être intéressée à ce sujet d’étude. Aussi, décide t-elle de partir au Pérou, au lendemain de 20 ans de guerre civile. « Nous sommes dans les années 2000. La population locale était encore très marquée par ces événements. Dans toutes les conversations il était question du Sentier lumineux, cette guérilla active dans les années 1980, dans laquelle les femmes représentaient 50 % des membres du groupe et 40 % des cadres… Leur rôle fut très important. J’ai alors compris qu’il fallait que j’en apprenne plus sur ces femmes et leur engagement » partage Camille Boutron. « C’était précurseur comme sujet, on ne parlait pas des femmes dans les organisations violentes. D’ailleurs aujourd’hui encore, on ne voit pas les femmes comme des guerrières comme les autres » ajoute t-elle.


La volonté de comprendre


« Tout au long de mes recherches, j’ai rencontré des femmes qui avaient pris les armes au sein des guérillas mais aussi des groupes paysans d’autodéfense qui les affrontaient, j’avais une vision des deux camps. Les prisons de haute-sécurité étaient mon terrain d’étude principal, le conflit s’étant terminé par l’échec des processus révolutionnaires. Mon but était de comprendre les parcours de vie de ces femmes, de m’en saisir comme des fils pour tisser une autre histoire du conflit armé péruvien. Regarder les aspects intimes et subjectifs du conflit, non pas pour en parler d’une manière politique mais bien pour comprendre autrement la guerre civile » dévoile la chercheure et de poursuivre : « J’ai rencontré des femmes militantes du mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, dont on parle peu car ils ont fait 1,7% des morts. Les mercredi et samedi j’étais avec elles, en prison. Lucero Cumpa, la dernière guérillera emprisonnée a été récemment libérée. Ces femmes m’ont vraiment marqué, la distance s’est peu à peu effacée. A la fin, j’avais presque l’impression d’aller voir des amies en prison. J’ai même fini par réaliser que si j’avais eu entre 16 et 20 ans à l’époque, j’aurais probablement pris les armes à leurs côtés et serais moi-même de l'autre côté des barreaux en ce moment même ». Camille Boutron s’intéresse aussi à la manière dont ces femmes ont été traitées, post conflit. « A la fin de la guerre civile, les femmes ont été converties en une forme de dévidoir de la haine et de la frustration de la population locale. Cela pourrait être comparé aux Françaises qui ont été tondues après la Seconde Guerre Mondiale » poursuit-elle. La fin du conflit est notamment marquée par le transfert de la violence armée vers la sphère domestique, de nombreuses scènes de violences conjugales extrêmes ont été rapportées à la chercheure.


Femmes dans les Armées françaises


A son retour en France, Camille Boutron s’est ensuite intéressée à la place des femmes dans les armées françaises, un sujet peu traité, lui aussi, à cette époque. Une extension de ses premières recherches qui conduisent la chercheure sur de nouveaux chemins, de nouvelles problématiques. En 2021, les femmes représentaient 16,5 % des effectifs globaux des armées, le ministère se classant à la 4e place des ministères des Armées les plus féminisés du monde.¹ Une féminisation qui a vocation à se poursuivre. Aujourd’hui 78 % du personnel militaire estime qu'une meilleure mixité au sein de l'institution permet et permettrait d'améliorer son efficacité. Un changement de mentalité qui pourrait marquer un tournant et tendre vers « le mieux ». Pourtant, le plafond de verre demeure. Elles ne sont en effet que 10 % à être officiers généraux³ et seules 7 % des femmes partent en opérations extérieures. Comment l’expliquer ? « Certains vous diront que les femmes ne veulent pas partir en opération extérieure parce qu’elles sont souvent mariées et ont une famille. Il est difficile pour elles de laisser derrière elles leurs enfants pour partir dans des zones de guerre. Mais, ce n’est pas une généralité, ni une explication suffisante. Car il y en a qui sont volontaires, comme la Générale Anne-Cécile Ortemann qui est partie en OPEX alors même qu’elle avait une famille et que ses filles étaient en bas âge. Comme beaucoup d’autres. Pour elles, il est important de partir en OPEX, cela fait partie de leur engagement, c’est une volonté affirmée pour beaucoup d’entres elles. Cela est aussi clé pour l’intégration et la légitimité. Et puis, c’est l’une des conditions pour gravir les échelons et accéder à des promotions. » Mais si les choses évoluent, chiffres et témoignages à l’appui, la chercheuse maintient : « les armées françaises en sont arrivées à s’intéresser aux questions de mixité parce qu’elles y ont été contraintes par la loi. Aujourd’hui, ce sujet passe après beaucoup d’autres au sein de l’institution militaire, l’égalité professionnelle des hommes et des femmes n’est pas un sujet central pour les officiers. » défend Camille Boutron.

La question des violences sexuelles et sexistes au sein de la Grande Muette l’ont fait également réagir : « Ces violences regroupent des comportements et des agissements extrêmement variés. Il s’agit d’un des enjeux clés du moment pour les Armées ». Celles-ci semblent commencer à prendre la mesure du problème, le collège des inspecteurs généraux des Armées a récemment publié le rapport de sa mission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes au sein de l’institution qui atteste « On ne doit cependant pas réduire le sexisme aux seules agressions sexuelles car elles ne sont que la face émergée d'une somme de comportements quotidiens, qu'on ne mesure pas mais qui peuvent créer un climat intimidant voire oppressant : une réflexion misogyne, une plaisanterie sexiste... toute forme de sexisme ordinaire qu’il faut s’attacher à éradiquer ». Les violences sexuelles et la libération de la parole sont au cœur des travaux menés par la mission. Pourtant, « deux tiers des personnes interrogées au sein du ministère pensent que la dénonciation de faits de violences sexuelles et sexistes pourrait nuire à leur parcours professionnel, il est donc difficile de parler d’une libération de la parole des victimes » pointe notamment le rapport.⁴ Et pour cause, parler, dénoncer son agresseur reste difficile, plus encore dans le cercle fermé des Armées, avec ses codes, son ADN qui repose notamment sur la nécessaire appartenance au groupe et l’exigence de cohésion, renforçant le sentiment de peur de marginalisation chez les victimes : « Dénoncer, c’est trahir le groupe » partage l’une d'entre elles.⁵ « Même quand une femme dénonce son agresseur, n’oublions pas qu’elle le fait auprès d’une entité militaire. L’affaire se règle dans un entre-soi, et cela peut être démoralisant. La cellule Thémis qui a été mise en place il y a dix ans au sein du ministère des Armées recueille les plaintes, mais le nombre reçues par rapport aux nombres d’actes est ridicule. Il faudrait revoir ce mécanisme. Les violences sexuelles et sexistes devraient être prises en charge par les autorités compétentes dans le monde civil » propose Camille Boutron.

D’autres propositions sont émises dans le rapport et portée à l’attention des instances militaires : l'initiation d’un programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes placé sous la direction d’un Comité Exécutif (Comex) présidé par une personnalité extérieure au ministère, la structuration d’un parcours de la victime de VSS, complet, coordonné et personnalisé, la suspension de l’auteur présumé dès lors que des faits crédibles lui sont imputables sans attendre la constitution du dossier disciplinaire.

L'ensemble de la cinquantaine de recommandations a été retenu pour la création d'un nouveau programme lancé au ministère des Armées à la suite de la publication de ce rapport. Plaçant la victime au cœur du dispositif, il s'agit d'une petite révolution pour l'institution.


³Ibid

⁴Rapport de la mission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes au sein des Armées, 10 juin 2024

Ibid

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