120 000 femmes sans domicile : entre urgence sociale, violences à répétition et propositions concrètes
- camilleleveille8
- 9 avr.
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« La rue est l’antichambre de la mort, en hiver comme en été » résume Michel Poulet, assistant social, secrétaire fédéral de la Fédération Nationale Action Sociale Force Ouvrière (FNAS-FO). Dehors, une population est particulièrement à risque : les femmes. Pour alerter sur les difficultés, les violences et les traumatismes qu’elles subissent au quotidien, une mission d’information du Sénat a récemment rendu son rapport. Le constat est édifiant.

Femme à la rue : une exposition constante à la violence
« La rue abîme, elle blesse et elle tue également et toutes ces femmes ont régulièrement été désignées pendant toutes nos auditions comme invisibles, ou comme la face cachée de la rue. »¹ tient à rappeler Agnès Evrèn, sénatrice, élue à Paris et rapporteure du rapport sur la situation des femmes sans domicile et sans abri en France, rendu en octobre dernier. L’espérance de vie d’une femme sans abri, fixée à 45 ans, est moindre que celle d’un homme dans la rue… Au-delà des conditions sanitaires déplorables - 37 % des femmes sans abri (contre 30 % des hommes) s’estiment en mauvaise ou très mauvaise santé - elles sont particulièrement exposées à la violence, sexuelle notamment. Au bout d’un an passé dans la rue 100 % des femmes auront subi un viol. Un traumatisme qui s’ajoute à d’autres. Certaines sont exploitées sexuellement. Des hommes leurs mettent à disposition « des hébergements “contre services” et des propositions de rapports sexuels rémunérés, qu’elles acceptent parfois uniquement pour nourrir leurs enfants », mentionne Bénédicte Maraval, assistante sociale référente au Comede, le Comité pour la santé des exilé·e·s.² « Quand j’étais ministre du Logement [sous François Hollande], j’ai vu des proxénètes venir chercher leurs victimes à cinq heures du matin, lorsque nous organisions des opérations de mise à l’abri des populations. » poursuit Laurence Rossignol aujourd’hui sénatrice et rapporteure et d’ajouter : « Il y a des femmes qui refusent d'aller dans des lieux d'hébergement mixtes, elles ont trop peur parce que leur histoire leur a appris qu'elles avaient des bonnes raisons d'avoir peur ».³ Autre conséquence, loin d’être négligeable et qui participe à cette violence de la rue, les grossesses sont considérées à risque : les comorbidités, de complications défavorables sont plus élevés chez les femmes sans abri.
Une augmentation du phénomène
Les femmes sans domicile sont des invisibles. Pourtant, leur nombre augmente chaque année, un peu plus. En 2024, sur les 330 000 personnes sans domicile que compte notre pays, 120 000 sont des femmes. 120 000 vies sur pause. 120 000 vies qui craignent et subissent chaque jour la violence. Parmi celles nées en France - une proportion importante des femmes sont à la rue suite à un parcours migratoire - 15 % ont perdu leur logement suite à des violences intra-familiales. Quitter la violence… pour la retrouver ailleurs, dehors. Ce chiffre de 120 000 femmes sans domicile a doublé en 10 ans. Le nombre de demandes non pourvues (c'est-à-dire sans abri malgré un appel au 115) est lui aussi en augmentation. Entre avril 2021 et mars 2024, le nombre de mères isolées dont ces demandes n’ont pas abouti a été multiplié par 3. Pour les femmes seules, il a été multiplié par 2,5. La raison ? Une saturation du nombre de places en hébergement d’urgence ce malgré une augmentation de l’offre. Pour gérer cette pénurie, des préfectures instaurent des critères d’accès de plus en plus restrictif, allant à l’encontre du droit pour chaque personne d’accéder à un hébergement. Des niveaux de vulnérabilités ont été édictés. Celles qui ne relèvent pas du niveau 1, niveau qui comprend les femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de 6 mois ou avec un enfant de moins de 3 mois, sont régulièrement laissées sans solution. Même celles qui répondent aux critères ne sont pas assurées de trouver un hébergement : « Malgré ces critères, il y a parfois des femmes enceintes de 7 mois qui ne trouvent pas de place », partage Agnès Evrèn.
Une prise en charge à 360°
Trouver une place en hébergement d’urgence est un véritable casse-tête. A Paris, le Samusocial propose des places dans deux centres, Babinski et Championnet, pour héberger les femmes seules en évitant les problèmes de mixité. La Mairie de Paris de son côté a ouvert une Halte Femmes au sein de l’Hôtel de Ville, géré par le Samusocial. Outre l’accueil de jour et un accompagnement social, 39 places sont également ouvertes pour la nuit. L’association développe un accueil pluridisciplinaire, essentiel selon Marie Lazzaroni, responsable promotion de l’égalité au Samusocial.⁴ Fin janvier 2024, un nouveau dispositif a été pérennisé dans le 11e arrondissement de la capitale. Baptisé Oasis et développé depuis mars 2019, le lieu de 350 m2 propose un espace où l’intimité est préservée, où les rendez-vous médicaux et gynécologiques sont possibles et où la parole est libre. Des activités sont proposées, une cuisine partagée est ouverte et un vestiaire est mis à disposition. L’association TRACES quant à elle propose des séances avec des psychologues dans le Centre d’Hébergement d’Urgence pour Migrants d’Ivry-Sur-Seine.
En région, des initiatives sont aussi développées. A Tours, la Nuitée propose 20 places pour des femmes sans abri. Depuis 2021, l’association propose également la Mater Nuitée qui permet à 20 femmes - ou parents - de se reposer après leur accouchement. Certains parcours marquent aussi les professionnels qui accompagnent, chaque jour, ces femmes comme celui de cette jeune femme arrivée à l’association enceinte après un viol. « Elle était dans le rejet total de ce petit, on a pu la prendre en charge pendant deux ans » se remémore Chelssy. Un accompagnement qui lui a permis de reprendre pied et confiance. Elle a obtenu un logement, poursuit ses études et s’épanouie dans son rôle de mère.
Des recommandations des pouvoirs publics
Suite au rapport rendu par les 4 sénatrices, plusieurs recommandations ont été formulées. Elles demandent notamment la création de 10 000 places d’hébergement supplémentaires qui seraient disponibles grâce à l’habitat intercalaire (mobilisation de terrains ou de locaux entièrement ou partiellement inoccupés) pour assurer une prise en charge immédiate. A noter que cette mesure avait été votée par le Sénat lors du dernier budget sans survivre au 49.3 qui a suivi. Les rapporteures souhaitent attribuer à l’Etat la responsabilité de l’hébergement pour toutes les femmes enceintes et les mères d’enfant de moins de 3 ans. Le développement de places d’hébergement adaptées aux femmes, c’est-à-dire davantage de places non mixtes pour les femmes isolées mais aussi des places adaptées aux différentes configurations familiales pour préserver l’unité au sein des familles est également au cœur des recommandations. Autre proposition : inclure une politique publique en faveur des femmes sans-abris dans la « grande cause santé mentale ». Les femmes en situation irrégulière ont également été prises en compte par les Sénatrices. Régulariser plus vite les femmes sans-abri : un levier vital pour briser le cycle de la précarité. Les Sénatrices préconisent également un renforcement du soutien financier et une augmentation de l'offre des logements sociaux, en priorisant l'accès pour les femmes seules et les mères isolées.
³ Ibid
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